« L'Univers est vaste. Ses paysages, sa faune, sa flore, ses cultures et ses mystères sont d'une innombrable variété et l'histoire qui a façonné les mondes est trop longue pour être résumée. Ainsi, les érudits étudient et consignent les facettes de cette réalité en de larges ouvrages. C'est en l'un d'eux que vous trouvez réponse à vos questions. »
Je me souviens encore des cris frustrés des Soleils Bienheureux du Grand Royaume Frel, qui avaient tout fait pour essayer de calmer le jeu entre les Manars, sans effet. Cette guerre est un rappel que parfois, les mortels ne veulent pas être guidés. - Chancey Norwich, Sorcière du Nord
La nouvelle de la mort du Dieu-Roi, tué par ses propres enfants, eut l'effet d’un coup de massue sur le bas peuple Frel. “Heureusement” pour ceux-ci, cela provoqua, chez les Dyrvars, une tentative de révolte massive, pensant que sans l’appui du Dieu, les Frels ne pourraient tenir. Cela donna ainsi aux Princes, qui se hâtèrent de rentrer dans leurs régions respectives, l’occasion de réunir les Frels, malgré leur acte, autour de l’objectif le maintien du Royaume. Usant des pouvoirs arrachés à leur Père durant le rite de sang, ils tinrent bon face aux élus des Dieux Sauvages, chaque bataille prouvant une nouvelle fois leurs valeurs dans le maniement des lames. Ainsi, dans le sang et la sueur, ils gagnèrent de nouveau le soutien de leur peuple.
La stabilisation prit bien plus de temps que prévu, et trois années durant, les Héritiers du Dieu-Roi furent trop occupés à batailler pour penser à lui trouver un successeur. Finalement, en 2A571, les derniers rebelles Dyrvars furent vaincus, et la paix restaurée au sein du Grand Royaume. Leurs actions durant la guerre, qui avaient prouvé qu’ils étaient les plus grands des guerriers Frels, avaient également redonné respect et légitimité aux quatre seigneurs. Ce fut d’autant plus le cas que Rubeus, dont le fief, foyer des Moltös, n’avait que peu souffert des rébellions, avait déjà entrepris la construction de la Cathédrale Vermeille en lieu et place de l’ancien palais du Dieu-Roi. Cette manœuvre, dans le but d’honorer sa mémoire, et approuvée par les autres descendants, avait grandement aidé à apaiser les esprits les plus échauffés.
Il ne restait donc qu’un problème : qui devait monter sur le trône ? Qui méritait d’hériter du Royaume ? Cette question était restée trop longtemps en suspens, et on se hâta d’organiser une grande négociation à ce sujet, entre les principaux seigneurs du royaume, à la Cathédrale venant d’être achevée. L’émissaire Alfar envoyé pour témoigner de cet événement historique décrit la réunion en ces termes :
La Cathédrale était particulièrement impressionnante, joyaux de l’architecture Moltös, qui avaient grandement appris des Serviteurs et Waraboucs. L'intérieur, contrairement aux autres bâtisses Frels, ne disposait de nulle colonne, les contreforts à l’extérieur suffisant à faire tenir l’imposant édifice. À la place, un immense espace avait été dégagé. Des sièges avaient été placés en carré, chaque délégation occupant un côté, tandis qu’au centre se trouvait un trône incrusté de rubis, sur lequel se trouvait une couronne sanglante, la couronne du défunt roi. Derrière celui-ci, sur un léger autel, on pouvait voir la tombe érigée pour le souverain, surmontée d’un calice d’or, par lequel les Princes se seraient abreuvés de son sang.
Damasius, le premier des fils du Dieu-Roi, qui était présent même lors de l’exil, parla en premier. D’une voix profonde et forte, il se proposa comme successeur naturel. Il était, après tout, l'aîné, et le plus brave guerrier d’entre eux. Ses prouesses sur le champ de bataille ne parlaient-elles pas d’elle-même ?
Rubeus s’y opposa immédiatement : c’était après tout lui qui avait eu la sagesse de voir les changements terribles dans l’esprit du Dieu-Roi, lui qui avait pris les mesures nécessaires pour éviter que sa folie n’entraîne le peuple Frel en entier. Certes, il était le benjamin, mais la couronne ne devait-elle pas aller au plus apte, plutôt qu’au plus âgé ?
Avant que Damasius ne puisse répondre, Altamira, l’une des cadettes du Dieu-Roi, s’exprima également, pour réfuter Rubeus, dont l’ambition l’inquiétait. Il était certes celui qui avait vu le danger le plus loin, mais il était également le premier à avoir suggéré le rituel de sang, et le premier à avoir, durant cette nuit fatidique, poignardé leur père, visant directement le cœur. Puis, se retournant vers Damasius, elle le critiqua également. C’était un grand guerrier, mais une copie conforme au Dieu-Roi, la perfection en moins. Également il avait chevauché la brebis la plus blanche qu’il avait trouvée, ignorant complètement la menace du Krampus. Comment pouvaient-ils être sûrs, avec son comportement sanguinaire, qu’il n’était pas également sous son influence ? Finalement, s’adressant à toute l’assemblée, elle dénonça les deux candidats, et se présenta comme la plus méritante de l’ascension au trône.
Rapidement, les discussions dégénérèrent, les trois adelphes s’accusant mutuellement de la plupart des maux du royaume, d’échecs militaires ou encore de manquement moraux. Finalement, Damasius empoigna son épée, celle qui appartenait à son père, et qu’il avait obtenue sur son corps encore chaud, et tenta, après un commentaire particulièrement incisif, de couper en deux Rubeus… Et manqua. Leviosa, qui était restée silencieuse tout le long de la conversation avait, d’un revers de la main, dévié le coup, qui trancha l’immense tombe cérémonielle installée au centre de la cathédrale. Au sein de la Cathédrale, nul n’osait faire un bruit, alors que l’énormité de ce qui s’était passé s’inscrivait dans les esprits. Puis, toujours sans un mot, Leviosa fit signe à la délégation de sa Seigneurie… Et partit, bientôt imitée par les autres.
Aussitôt rentrés, Damasius, Rubeus et Altamira se proclamèrent Rois et Reine, tandis que les seigneurs sous Leviosa refusèrent de ne reconnaître aucun des trois, estimant que seule celle-ci, qui avait su rester composée, méritait ce titre. Ainsi se morcela le Grand Royaume Frel.
Les premiers conflits se déclarèrent alors. Tandis que les Terres de Leviosa se retranchaient sur elles-mêmes, ne désirant prendre part à l’affrontement contre d’autres Frels, celles sous le contrôle des trois autres héritiers rassemblèrent rapidement leurs armées, et partirent à la guerre. Altamira, prise entre Damasius et Rubeus, dut dans un premier temps reculer, mais ce désavantage disparut bien vite quand il apparut clair que l’aîné et le benjamin préféraient s’affronter entre eux plutôt que de se soucier de la cadette, donnant ainsi à Altamira le temps de respirer, et de s’adapter.
Ces batailles constantes prirent de nombreuses vies Frels, mais aussi Dyrvars, les serfs étant conscrits à la guerre au sein de milices. Finalement, ce qui devait arriver arriva. Durant la Triple-Bataille, en 2A583, un affrontement opposant les armées des trois pays, les adelphes se retrouvèrent à nouveau, comptant visiblement résoudre leur désaccord concernant l’héritage du trône une bonne fois pour toutes. Les témoignages de la bataille sont confus, mais ils parlent d’un triple duel entre les héritiers, avec possiblement l’intervention d’une quatrième force, que ce soit une force de mercenaire cachée, une trahison de Dyrvars souhaitant la fin du conflit, voire même une antique malédiction lancée par le Dieu-Roi. Dans tous les cas, l’issue de cette rencontre est unanime : aucun ne revint vivant, les trois ayant réussi à s’entretuer.
La mort des instigateurs mit un coup d’arrêt au conflit. Leurs héritiers respectifs, car les régents avaient eu des enfants, finirent par réussir à négocier, et proclamèrent finalement la séparation du Grand Royaume en quatre royaumes, nommés d’après leur fondateur, de manière officielle. Cette négociation, qui eut lieu de nouveau à la Cathédrale, fut surprenamment tendue, de par la présence de Leviosa en personne. En tant que dernière fille survivante du Dieu-Roi, elle avait là une légitimité certaine, mais elle fit de nouveau, au grand soulagement de ses interlocuteurs, le choix de rester parfaitement neutre, contente de garder ses terres, et ne semblant en désirer plus. Les quatre lignées royales, et leurs symboles furent ainsi formellement établis :
Les Damasius, descendants de l'aîné, furent proclamés lignée gardienne de l’épée du Dieu-Roi. Tant que cette épée sera en leur possession, et que le peuple Frel n’abandonnera la voie des guerriers, nul ne pourra contester leur légitimité à régner.
On refusa aux Rubeus le Calice, pour leur confier à la place le Sceptre de Rubis. Offert par les Moltös au Dieu-Roi, il est le symbole de l’alliance entre les deux peuples. Tant que les Moltös continueront de soutenir les Frels, leur règne ne sera pas remis en cause.
Les Altamiras, quant à eux, obtinrent la Bannière du Dieu-Roi, qu’il portait sur son dos pour galvaniser les troupes, pour que la lignée perdure autant de temps que la Bannière ne serait droite.
Finalement, on proposa à Leviosa la couronne de sang, pour représenter l’autorité de son père, mais celle-ci refusa, décrétant que ses terres n’avaient nul besoin de tels artifices ou symbolique, car le pouvoir n’était pas au sein d’objet, mais uniquement dans les mains de ceux qui les manient. Sans plus de mots, elle repartit immédiatement après, quittant pour la deuxième fois le conseil en plein milieu (chose qui deviendrait une habitude de la lignée Leviosa).
Leviosa mourut une décennie plus tard, en 2A594, à l’âge vénérable de 142 ans, particulièrement avancé pour un Manar. Celle qui semblait immortelle avait apparemment choisi d’elle-même de quitter la Brèche, se laissant mourir de faim en priant dans une chapelle privée, afin de demander auprès de son père le pardon pour son Crime. Sa successeure, la Reine Bénédicte Leviosa, ne changea que peu les habitudes de sa mère, refusant le conflit avec les autres Frels, si bien que, jusqu’en 2A615, les royaumes semblaient particulièrement heureux de vivre chacun dans leur côté, évitant les conflits (plus grosses que de petites escarmouches) avec leurs voisins, et se développant paisiblement.